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Une tentative de définition de la voix.

En creux ?

Il serait plus facile de définir la voix par ce qu’elle n’est pas que par ce qu’elle est tant l’idée qu’on en a est précise, tangible, concrète.

Ce que la voix n’est pas.

Un objet.

La voix n’est pas à proprement parler un objet clairement défini ou arrêté. Elle n’est pas un « sens » comme le toucher, la vue, l’ouïe, le goût ou l’odorat qui sont tous les récepteurs et reposent tous sur des organes dont on peut penser qu’ils leur sont destinés ou affectés : les yeux pour la vue, les oreilles pour l’ouïe, les papilles pour le goût, la peau pour le toucher, le nez pour l’odorat.

Une fonction.

La voix n’est pas à proprement parler une fonction comme la digestion, la respiration, la circulation etc. qui ont toutes un rôle vital et disposent encore une fois d’organes qui leur sont clairement impartis : le cœur pour la circulation, le tube digestif pour la digestion, les poumons pour la respiration…
Aucun organe n’est spécifiquement affecté à la voix ou bien ils le sont presque tous, nous verrons cela plus loin.

La voix n’est pas « nécessaire ».

Au sens premier et s’il ne fallait parler que de la vie sur le plan anatomique, la voix n’est pas utile. On peut vivre sans parler. Peut-on pour autant vivre sans communiquer ? C’est peu probable, mais la communication au sens large est un domaine encore largement méconnu. Que sait-on par exemple de la « communication » des arbres entre eux ?
Concernant la voix, on sait par exemple que seuls les chats domestiques, ceux qui vivent en compagnie des humains, miaulent. Ceux qui vivent à l’état sauvage, sans commerce avec les humains, cessent de miauler une fois sevrés, comme si leur miaulement ne devenait plus nécessaire. En quoi leur est-il utile ou nécessaire ou agréable de miauler quand ils vivent en compagnie des humains ? Peut-être pour leur répondre, ou pour « faire comme eux. »

La voix n’est pas fixée.

Elle n’a pas une hauteur ou une couleur définie par des contraintes anatomiques ou organiques comme peuvent l’être la couleur des yeux ou la longueur des membres. On n’est pas soprano ou alto comme on est blonde ou brune, comme on a les yeux bruns ou bleus, ou comme on chausse du 38 ou du 42. La voix n’est pas une donnée physique. Enfin… Pas seulement. On pourrait dire que c’est une sorte de choix plus ou moins conscient que nous faisons en fonction de nos capacités physiques et de la perception que nous avons du monde qui nous entoure. Le choix de sa propre voix ressemble, sans vouloir choquer personne, au choix de sa sexualité : on a au départ un corps généralement sexué et un psychisme qui sera animé ou non de pulsions sexuellement orientées. Mais ce qu’au final on fait de ce corps et de ce psychisme, c’est affaire de choix personnel.
On pourrait multiplier indéfiniment le nombre de chose que la voix « n’est pas », mais cette quête n’aboutirait pas nécessairement à une définition positive. Essayons la voie « positive ».

Définition positive de la voix.

Sa nature physique.

Physiquement, c’est un son et comme tous les sons, elle est produite par l’effet d’un objet émetteur sur le milieu ambiant. Elle devient un élément de communication lorsqu’il existe un récepteur.
Nous avons donc trois éléments qu’il faut décrire avant d’avancer :

Objet émetteur.

Les cordes vocales.

Au sens strict, ce sont elles qui produisent la vibration initiale.
On peut en faire une description anatomique, mais avant toute chose, il faut savoir que leur appellation est impropre : les cordes vocales n’étant ni des « cordes », ni destinées à produire la voix. Leur fonction première - et au moins aussi importante - est de servir d’aiguillage entre le tube digestif et la trachée-artère, ce qu’elles font remarquablement bien chaque fois que nous avalons quelque chose, sauf quand nous « avalons de travers ». Je dis « nous » mais ceci concerne un grand nombre de mammifères qui ont exactement le même dispositif et qui pour autant, ne parlent pas ou n’émettent que des sons très sommaires : les chiens aboient, les ânes braient etc., mais il est probable que les taupes n’aient pas grand-chose à dire, pourtant elles ont elles aussi des « cordes vocales ».
Leur fonction première est de fermer l’accès à la trachée-artère lorsque nous avalons, de façon à ce qu’aucun autre objet que de l’air n’entre dans les poumons. Les « objets » qu’elles doivent empêcher de passer pouvant être liquides, elles sont, comme d’autres sphincters du corps humain, (la bouche, l’anus, etc.) actionnées par des muscles et garnies de muqueuses qui en garantissent l’étanchéité.
Le son vocal est produit en « forçant » de l’air sous pression au travers de ces muqueuses rapprochées. Pour s’en donner une idée précise, on peut forcer de l’air au travers de ses lèvres serrées et produire ainsi une vibration audible plus ou moins aiguë (ou un bruit de pet, ce qui amuse beaucoup les enfants). C’est exactement ainsi que les trompettistes produisent la vibration que leur instrument transforme par la suite pour donner le son de la trompette.
Le fonctionnement sonore des cordes vocales nous est assez mystérieux pour plusieurs raisons. D’abord, et contrairement aux lèvres, on ne les voit pas puisqu’elles sont dans le larynx, qui lui-même fait partie du pharynx, parties intérieures de notre corps (dans la gorge) qu’il n’est possible d’observer qu’avec un laryngoscope, dispositif optique assez compliqué dont on ne dispose pas ordinairement chez soi.
L’autre raison pour laquelle le fonctionnement des cordes vocales nous est mal connu, c’est qu’elles ne sont pas innervées, ou très sommairement. De ce fait on n’en reçoit pas ou peu de sensations tactiles, contrairement, encore une fois, aux lèvres, parties très sensibles et par lesquelles on identifie très précisément les températures, les formes etc. des objets qui viennent à leur contact.
Leur dénomination fantaisiste ajoute au mystère : pas mal de gens imaginent que les chanteurs ont une sorte de harpe dans le gosier. J’ai même entendu un ténor dire, sans rire, que sa corde du Fa # était désaccordée…
Un dessin valant souvent mieux qu’une longue explication, voici à quoi elles ressemblent, en dessin et en photo. (Ces représentations sont vues de haut. Il faut se représenter que le nez de la personne est vers le haut de l’image.)

laryngoscopie

J’ai piqué ce dessin sur ce site (c’est mal)
Cordes vocales, phase de respiration, schéma de gauche
Cordes vocales en phase de phonation, schéma de droite.

L’énergie

Pour que l’objet sonore rentre en vibration, il faut un mouvement et donc de l’énergie pour le produire. En l’occurrence, le mouvement est celui de l’air et l’énergie vient des muscles du corps.
Que sait-on de l’air dans le corps ? Qu’il entre et sort des poumons au rythme de la respiration. Bien. Mais on a vite fait de penser que ce sont donc les poumons qui « soufflent ». Tout faux ! Les poumons sont des sacs, même pas élastiques, et tout à fait incapables de se remplir ou de se vider par eux-mêmes. Ils ont autre chose à faire ! Ils s’occupent des échanges gazeux entre le sang et l’air et c’est bien assez.
Pour prendre une image qui parlera aux mécaniciens, ils sont comme les cylindres d’un moteur à explosion : c’est là que se produit le mélange entre le carburant et le comburant, là aussi qu’a lieu la réaction (l’explosion), mais le cylindre lui-même ne « fait » rien. On lui apporte les éléments et on en extrait l’énergie et les gaz brûlés.
Si l’air entre dans les poumons, c’est parce que quelque chose le fait entrer et s’il en sort, c’est que quelque chose l’en fait sortir. Ce « quelque chose » très complexe s’appelle le système respiratoire.
Je ne décrirai pas ici son fonctionnement d’abord parce que je n’ai pas les connaissances nécessaires et ensuite parce que tout cela serait fort long et compliqué. Mais ce qu’il faut savoir de ce système, c’est qu’une pièce particulière en occupe le centre : le diaphragme, en vert sur cette animation (n’hésitez pas à cliquer dessus).
On voit ici que les poumons se vident lorsque le diaphragme remonte et qu’ils se remplissent lorsqu’il descend.
Le diaphragme lui-même ne fonctionne pas tout seul, ce serait trop simple. Il s’agrippe un peu partout, à la colonne vertébrale, aux côtes et de très nombreux muscles de la partie abdominale contribuent à son fonctionnement (voir l’image ci-contre). Tout cela se fait automatiquement et la respiration n’est pas un mouvement conscient - on respire même quand on est endormi - même s’il est possible d’en contrôler consciemment le débit - ce qu’on ne sait pas faire pour d’autres fonctionnements automatiques comme la circulation sanguine ou la digestion par exemple.

Variations du débit.

Un constat : le débit de la respiration n’est pas constant. Il dépend de paramètres extérieurs tels que l’âge (les enfants respirent plus vite que les adultes), la fatigue (on respire plus vite et plus fort pendant un effort continu), l’émotion (quand on rit, quand on pleure, quand on est amoureux, quand on a peur…) et bien d’autres encore. Ces variations ont des conséquences sur l’efficacité de cette première partie du système phonatoire.
De même, l’anatomie joue un rôle important : les cordes vocales des enfants étant plus courtes que celles des adultes, leur vibration est plus rapide et leur voix est plus aiguë.
Et, d’un individu à l’autre, le son produit par la vibration des cordes vocales dépendra en grande partie de leur étanchéité. Lorsqu’on est « enroué », momentanément pendant un rhume, par exemple, c’est que quelque chose empêche les cordes vocales d’être tout à fait jointives. Il en résulte des « fuites » qui peuvent aller jusqu’à une « extinction de voix ».
Toutes ces variations sont très rapidement perçues par l’auditeur et on sait très vite d’une voix qu’elle provient de quelqu’un de fatigué, découragé, euphorique, etc.

Et après les cordes vocales…

Une fois le son produit par les cordes vocales, il est transformé par le reste de l’appareil phonatoire, exactement comme le son produit par les lèvres du trompettiste est transformé par son instrument. Il entre dans un système lui aussi complexe de cavités plus ou moins grandes, et aux parois plus ou moins capables de se déplacer ou de se déformer : le palais, la langue, les fosses nasales… C’est dans ce labyrinthe que la voix va prendre son timbre.

Le timbre.

Rien à voir avec la poste. Le timbre est le nom de l’un des quatre paramètres du son, les autres étant la durée, la hauteur et le volume. C’est une notion acoustique un peu difficile à expliquer, mais pour faire simple, c’est ce qui permet de distinguer la nature d’un son, ce qui permet par exemple de reconnaître le son du violon de celui de la flûte, celui de la flûte de celui de la clarinette etc. C’est aussi le timbre qui permet de reconnaître immédiatement la voix de quelqu’un qui vous téléphone par exemple (et pas seulement la présentation du numéro…).
On peut dire que le timbre est ce qui « enrichit » un son brut, comme la trompette enrichit le son issu de la vibration des lèvres du trompettiste.

Auto information et contrôle.

Mais le plus important dans cette partie du fonctionnement vocal, c’est le fait que la première personne qui entend une voix, c’est celui qui l’émet, d’abord parce que c’est celui qui est le plus près de la source, mais surtout parce qu’il entend sa voix en grande partie « de l’intérieur ».
Ce retour interne joue un grand rôle dans l’idée que celui qui parle se fait de sa propre voix. Il l’entend tout à fait différemment de ce qu’entendent les autres. Pour s’en convaincre, il suffit de s’enregistrer et d’écouter l’enregistrement : il arrive qu’on ne se reconnaisse même pas tant la différence est grande. Et c’est très désagréable parce que cette voix qu’entendent les autres est remplie de choses qu’on n’aime pas : « trop haute », « trop forte », « bête », « prétentieuse », « ridicule »… Il est bien rare qu’on lui trouve spontanément des qualités. C’est à tel point qu’on préfère parfois croire que c’est l’enregistreur qui n’est pas fiable. Pourtant, quand on entend quelqu’un d’autre enregistrer sa voix, on le reconnaît parfaitement…
Autre expérience qu’on peut faire ou faire faire : le casque. Nous avons tous vu quelqu’un qui écoute de la musique trop fort dans un casque et qui chante en même temps. Souvent sa voix est bizarre, fausse, sans timbre et… plutôt ridicule. Cet effet provient du fait qu’il n’entend sa voix que « par l’intérieur » (et pour peu que le volume du casque soit trop élevé, il ne l’entend même pas très bien.)
Ces deux expériences mettent en évidence le rôle très important que joue l’oreille dans la voix. Si l’on ne s’entend pas, la voix fait n’importe quoi. C’est ce qui arrive par exemple à certains sourds profonds qu’on a « oralisés » (on appelle ainsi le fait de leur apprendre à parler malgré leur surdité) et qui parlent, certes, mais avec une voix étrange qui dérape constamment vers l’aigu, aux sons sans homogénéité.
La voix est sans cesse sous le contrôle de l’oreille. Si ce contrôle disparaît, la voix fait n’importe quoi.

Réception.

Le fonctionnement de l’oreille est assez comparable mais il est inversé : l’auditeur reçoit les vibrations de l’air qui font vibrer toutes les cavités de son corps mais aussi, surtout, le nerf auditif qui dispose d’un équipement spécial pour la perception des sons de faible niveau : le tympan, membrane vibrante (comme une peau de tambour) qui sépare le réseau intérieur de la tête du monde extérieur et vibre à la moindre différence de pression pour la rendre discernable par le nerf auditif.
Sur le plan acoustique, la réception dépend exclusivement de l’auditeur. Il peut ou ne peut pas entendre, parce qu’il est trop loin, parce qu’il est sourd, parce qu’il y a trop de bruits alentour etc.
Sur le plan émotionnel et psychique, c’est une autre histoire. Tiens, justement :

Dimension psychique de la voix.

Il n’est pas inutile de faire un pas de côté ou de prendre un peu de recul pour en parler. Quel est notre rapport au monde extérieur ? Que savons-nous de l’univers qui nous environne ? Comment agit-il sur nous ? Comment agissons-nous sur lui ?
Globalement, nous sommes équipés de quantité de capteurs sensoriels tournés vers l’extérieur qui nous permettent de savoir s’il fait chaud ou froid, de percevoir les odeurs, les goûts (même si, pour les goûts, le capteur est… dedans), les formes, les couleurs, les sons, l’intensité lumineuse, etc. D’autres capteurs tournés vers l’intérieur nous informent sur notre état général, notre fatigue, notre plaisir, nos sensations, nos besoins physiologiques (notamment relatifs aux fonctions excrémentielles et je m’en excuse mais c’est plusieurs fois par jour), notre faim, notre soif…
Consciemment ou non, nous émettons nous-mêmes des informations : de la chaleur, des odeurs, des goûts (pour peu qu’on s’approche suffisamment), nous réfléchissons de la lumière, nous déplaçons de l’air, nous produisons des sons, etc. et nous émettons aussi des matières concrètes, solides, liquides, gazeuses, à distance généralement assez faible.
Si l’on rapporte ce système de perception / réception à un cadre social, on touche assez vite à des dimensions de plus ou moins grand éloignement. Pour faire simple, la vue n’implique pas une grande proximité : on peut voir une personne éloignée, mais la vue ne pénètre que dans ce que l’autre « donne » à voir. On peut sentir son odeur si l’on est assez près (ou si l’odeur est très forte). Pour connaître le contact de son corps, on doit le toucher ; pour en connaître le goût, il faut être dans une sphère très intime.
La voix occupe une place à part dans cette représentation de ce qui nous entoure. Nous la produisons et aussitôt, nous percevons la façon dont elle nous revient. Elle nous informe, même sans le secours de la vue, de la configuration du lieu où nous sommes. Ouvert ? Fermé ? Grand ? Petit ? La combinaison voix / oreille est un précieux outil de navigation géographique. Et elle fonctionne encore mieux sur le plan émotionnel où elle est d’une délicieuse complexité.

Je te parle / tu m’écoutes.

Quand je te parle, je le fais en tenant compte de toi, de la distance à laquelle tu te tiens, de l’état d’esprit où je sens, je crois, je suppose ou j’espère que tu te trouves, et en anticipant sur la façon dont tu vas recevoir ce que je te dis. Mais surtout, quand je te parle, il y a quelque chose qui vient du plus profond de moi, d’un endroit pas uniquement intellectuel mais animal, sensoriel, organique que je lance dans ta direction et dont j’espère qu’il va t’atteindre également profondément.
Tu m’écoutes en manifestant quelque chose, ton intérêt, ton ennui, ton indifférence, ta sympathie, ton amitié, ton exaspération et tu anticipes sur ce que je vais te dire en fonction de notre passé commun ou de ce que tu sens, tu crois, tu supposes ou tu espères de moi. Mais surtout, tu ouvres la porte à quelque chose qui vient de ma profondeur animale et qui va peut-être atteindre la tienne, à un niveau qui ne peut pas être exclusivement informatif ou intellectuel, qui débordera nécessairement ces filtres sociaux que nous posons autour de nous.

Nous nous parlons.

Nous nous parlons, et nous savons immédiatement des quantités de choses l’un de l’autre, des choses dont nous n’avons pas « parlé ». Par ta voix, je sais ton émotion, ta fragilité, ce que tu veux montrer et surtout, surtout, ce que tu préférerais cacher. Et tu sais la même chose de moi parce que si je te parle, c’est que je te fais confiance, que je me dévoile comme tu te dévoiles, que je me montre à toi comme tu te montres à moi.
Et peu importe que notre conversation ne dépasse pas les : « Ça fera 12,50 € ». Ces quelques mots suffisent pour qu’il y ait dans chacun de nous quelque chose de l’autre.
La voix est un médium à part, qui provient de l’intérieur de l’émetteur et va chercher l’émotion à l’intérieur de l’auditeur.
Le son, en général, fait déjà ce travail d’aller chercher « dedans ». Si le tonnerre nous effraie, c’est parce ce que vibrons avec lui et qu’il nous transmet « quelque chose » que nous ne comprenons pas, peut-être les sentiments ou les émotions d’un dieu…
Mais la voix a ce caractère particulier de transmettre un peu plus et un peu autre chose que ce que l’émetteur veut et de toucher le récepteur un peu autrement ou un peu plus que ce qu’il imagine.
S’il fallait établir une comparaison, une seule s’impose et c’est celle de la relation sexuelle, du coït, qui met en relation l’intérieur d’un partenaire avec l’intérieur de l’autre, avec toutefois une différence notable : la multiplicité potentielle et simultanée des partenaires. Toutes les configurations sont possibles sans qu’il soit nécessaire d’imaginer les pires contorsions :

Voix et parole.

Mais je parle depuis un moment de la voix en disant « la parole ». Je dis que quelqu’un parle pour dire qu’il émet des sons vocaliques… Ai-je raison ou bien est-ce un abus de langage ?
À mon avis, les deux.
Je pense que chez l’être humain, la voix est quasiment indissociable de la parole, du langage. Elle ne lui est pas synonyme et il existe, même chez l’humain de nombreux moyens de communication autres que la voix - le langage gestuel, les mimiques, le contact…- mais la destination première et exclusive de la voix est la communication.
Pour reprendre l’exemple des chats donné au début de cet exposé, - les chats qui ne miaulent qu’en présence de l’être humain - on peut supposer que la voix n’existe qu’autant que celui qui l’émet imagine un récepteur. À l’état sauvage, les chats ne miaulent pas entre eux, sans doute parce qu’ils disposent d’autres moyens de communication, visuels, odorant etc. bien plus efficaces. Peut-être miaulent-ils en notre compagnie pour se mettre à notre pitoyable niveau de communication comme font certains adultes lorsqu’il s’adressent aux jeunes enfants en bêtifiant (« N’avait vu le navion ? Le dada ? Le wouah wouah ? »), mais qui reprennent leur dignité lorsqu’ils sont entre « personnes raisonnables ».

Le cri est-il une voix ?

J’ai dit plus haut que la plupart des mammifères (peut-être tous, je n’en sais rien, en réalité) ont des cordes vocales mais que certains ne s’en servent pas. C’est en partie vrai. Sous l’effet d’une souffrance intense, beaucoup d’animaux ordinairement muets sont capables de crier. Les enfants méchants qui torturent les animaux savent qu’un hérisson peut crier, un lapin, une taupe aussi peut-être, lorsqu’on qu’on leur inflige une souffrance extrême. Est-ce que ce cri est un acte de communication ? Est-ce que le cri du malheureux qu’on torture à l’électricité attend quelque chose en retour ? Sur un plan rationnel, je n’en sais rien, ce que je sais, c’est que celui qui l’entend peut en être profondément et durablement touché, avant même de savoir ce qui crie ni pourquoi « ça » crie.
Il y a sans doute une fascination autour de ce cri et qui justifie les tortures publiques qu’on infligeait autrefois au gré des condamnations. La foule se réunissait en nombre pour voir, mais sans doute aussi pour entendre celui qu’on fouettait, qu’on brûlait, qu’on écorchait. Elle le fait encore et curieusement dans des parties du monde où le sentiment religieux est très fort, où la présence du dieu est presque palpable, comme si ces cris lui étaient agréable, ou comme s’ils résonnaient en lui.
Que dire d’une culture qui aime les cris de ceux à qui on coupe les membres, de celles qu’on fouette et qu’on lapide, qu’on brûle en leur versant de l’acide sur le visage ? Que dire d’une culture qui égorge les infidèles pour que leur voix ne monte pas jusqu’à Dieu ? Que dire, si ce n’est que cette culture fut aussi la nôtre et qu’elle nous a sans doute profondément marqués. Nous avons aussi perpétré de semblables horreurs, nous, nos pères ou nos aïeux, et nous avons sans doute attribué au cri un pouvoir magique, divin, une capacité à s’adresser à l’au-delà, à l’incompréhensible, au surnaturel.
Nous avons capturé le pouvoir du son pour le mettre au service de la religion par la psalmodie, la prière, les cantiques, les oraisons, les incantations, parce que nous savons instinctivement le danger qu’il représente, sa capacité à manipuler les âmes, à fasciner. Mais il reste toujours quelque chose de ce pouvoir dans la voix, comme il reste quelque chose de primitif et dangereux dans la moindre flamme, fut-ce celle d’un briquet. Et nous le savons, intuitivement, inconsciemment. Nous savons la dangerosité de la voix et que son pouvoir incendiaire et ses retours de flamme sont à la mesure des joies qu’elle peut donner.
Le premier cri du nouveau-né, celui de la mère qui accouche, le gémissement du portefaix sous la charge, la plainte du mourant, le hurlement des loups à la lune, la plainte dans l’orgasme, tout cela « porte » au delà de la raison.

Oui, bon…

Revenons à des choses concrètes. On ne pense évidemment pas à tout ça quand on répond « patate toi-même ! » à l’abruti à qui on vient de refuser la priorité. Mais on sent bien pourtant que le cri complète efficacement gestes, mimiques et coups de klaxon, et que si la voix était une flamme et si nous étions des dragons, nous aurions tôt fait de réduire cet espèce de %*#@£ºÚîÚ en un petit tas de cendres qui cesserait de la ramener, non mais !
La voix est indiscutablement un vecteur de l’émotion.

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