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Raymond Queneau

Raymond Queneau

J'ai utilisé plusieurs de ses poèmes dans Ado-Missile, parce qu'il me semble avoir une certaine parenté avec lui. Non pas parce que nous serions cousins à la mode de Bretagne ou germains ou de la main droite ni du pied gauche, non pas non plus parce que je me trouverai une certaine ressemblance avec ce grand personnage, mais parce que mon père aimait de temps déclamer tout à trac :
'Ma grand-mère état sale et sentait si mauvais
Que de plus d'une dame on ne revit l'ombrelle."
C'était là tout ce qu'il se rappelait d'un de ses poèmes. Il n'en savait rien d'autre.
Moi, je trouvais merveilleusement insensé qu'on put écrire un poème sur un tel sujet : une vieille femme, sa propre grand-mère, et qui puait...
J'ai découvert plus tard la Petite cosmogonie portative qui m'a plongé dans une perplexité encore plus grande : la création du monde y est décrite dans une profusion de mots parfaitement incompréhensible mais tous plus authentiques les uns que les autres. Lire ne serait-ce qu'une page de cet ouvrage est une épreuve initiatique à la poésie pure !
Puis j'ai su de lui des choses qui m'ont touché, qu'il était mal aimé de ses parents et qu'il meublait sa solitude en lisant ... le dictionnaire. Il l'a lu intégralement, environ six fois, ce qui est inimaginable, mais sans doute bien assez pour mémoriser au passage une jolie collection de mots aux sonorités étranges.
J'ai appris beaucoup plus tard qu'il était l'un des fondateurs de l'OULIPO, ouvroir de littérature potentielle, et l'inventeur de procédés littéraires aussi merveilleux qu'amusants comme ces phrases écrites sur un anneau de Moébius qu'on découpe par son milieu.
Et puis j'ai découvert, redécouvert et re-redécouvert sa poésie, d'un goût si particulier, si trivial et si élevé tout à la fois, capable de s'attendrir sur des riens, ou même des moins que riens (beaucoup de ses poèmes sont construits sur le seul plaisir de rapprocher des mots ou des onomatopées, sans qu'aucun sens ne vienne à leur secours).
J'y reviens constamment maintenant. J'aime ses poèmes courts et dérisoires dont les sonorités restent longtemps après qu'on les a dit - car la poésie, c'est comme ça : il faut la dire !

Raymond Queneau
Raymond Queneau